Un rapport d’expertise judiciaire est opposable à un tiers à l’instance au cours de laquelle il a été
produit si, d’une part, il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire
des parties et si, d’autre part, il est corroboré par d’autres éléments de preuve.

Civ. 2e, 7 sept. 2017, FS-P+B, n° 16-15.531

Voici une nouvelle décision rendue par la Cour de cassation sur une question « assez embrouillée »
(RDI 2010. 495, obs. P. Théry ) qui porte sur l’opposabilité du rapport d’expertise judiciaire à un
tiers, appelé en garantie, qui n’a pas participé à l’instance au cours de laquelle ce rapport a été
produit.

En l’espèce, un véhicule a été acquis auprès d’un concessionnaire d’une grande marque
automobile.

À la suite d’une panne, l’acquéreur a fait réaliser une expertise amiable et a assigné le
vendeur devant un juge des référés afin que soit ordonnée une expertise judiciaire.

Un rapport d’expertise a été déposé et l’acquéreur a, par la suite, assigné le vendeur en résolution de la vente et en indemnisation de son préjudice.

Le concessionnaire vendeur a appelé la société constructrice, en garantie des condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

Une cour d’appel a déclaré le rapport d’expertise judiciaire inopposable à la société appelée en garantie et a pour cela estimé que le vendeur avait négligé de la mettre en cause devant le juge des référés à un moment de la procédure où elle aurait pu faire connaître à l’expert son point de vue technique sur les causes de la panne du véhicule.

Sur le pourvoi du concessionnaire vendeur, l’arrêt est censuré au visa de l’article 16 du code de
procédure civile.

La Cour de cassation reproche aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si, d’une part, ce rapport d’expertise avait été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties et, d’autre part, s’il était corroboré par d’autres éléments de preuve.

La position de la cour d’appel pouvait parfaitement s’entendre.

Selon les juges du fond, le rapport d’expertise judiciaire ne pouvait être invoqué à l’encontre de la société tierce à l’instance initialement introduite devant le juge des référés car elle n’avait ainsi pas été mise en mesure d’en discuter le contenu. Cette lecture repose sur une conception stricte du principe du contradictoire, une règle commune à toutes les instances judiciaires qui constitue une garantie essentielle des droits de la défense (C. pr. civ., art. 14 s.).

C’est pourtant ce même principe du contradictoire que la haute juridiction mobilise au soutien de la
cassation prononcée, comme en témoigne l’utilisation du visa de l’article 16 du code de procédure
civile.

Par cette cassation, la Cour de cassation ne fait que rappeler aux juges du fond qu’un rapport
d’expertise judiciaire ne saurait être rendu inopposable par le simple fait que la personne à l’égard
de laquelle il est invoqué n’a pas été partie à l’instance au cours de laquelle il a été produit.

La solution n’est pas nouvelle.

Elle s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt récent dans lequel la haute juridiction a précisé que le rapport d’expertise judiciaire pouvait être opposé à un tiers à l’instance au cours de laquelle il a été produit, dès lors qu’il avait eu la possibilité de discuter les conclusions d’un rapport d’expertise.

Il ne pouvait donc, sauf fraude à son encontre, soutenir que l’expertise lui était inopposable, ce, peu important qu’il n’ait pas été attrait à la procédure (Civ. 2e, 8 juin 2017, n° 16-19.832, Dalloz actualité, 23 juin 2017, obs. M. Kebir ; Civ. 3e, 29 sept. 2016, n°15-16.342, Dalloz actualité, 14 oct. 2016, obs. F. Garcia ).

Autrement dit, il suffit que le rapport ait pu être discuté par ce tiers pour qu’il lui soit opposable.

En l’occurrence, l’hypothèse était quelque peu différente.

La société tierce a été appelée en garantie par l’une des parties à l’instance initiale, ce qui a eu pour effet de l’attraire à la procédure.

L’appel en garantie est en effet une forme d’intervention forcée (C. pr. civ., art. 334 s.) par laquelle
l’une des parties étend le lien d’instance à une personne qui n’était pas partie à l’instance initiale.

Au regard de l’expertise, il importait peu que cet appel en garantie ait été effectué au cours de
l’instance au principal et non devant le juge des référés. Avant de conclure à l’inopposabilité du
rapport d’expertise judiciaire, la cour d’appel aurait dû vérifier si l’intervenante forcée n’avait pas
été mise en mesure de le discuter car, dans ce cas, son droit à la contradiction aurait été respecté.

De ce point de vue, l’arrêt rapporté suggère que ce qui importe véritablement n’est pas tant la
présence de la partie concernée au cours des opérations d’expertise ni même sa qualité de partie à
l’instance au cours de laquelle le rapport est produit mais davantage la possibilité dont elle a
bénéficié de discuter du rapport produit.

C’est ce qui explique que l’expertise ordonnée dans une instance antérieure peut être prise en considération dès lors qu’elle a été régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire des parties (v. en ce sens Civ. 2e, 17 avr. 2008, n° 07-16.824, D. 2008. 1345, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ; RDSS 2008. 572, obs. F. Arhab ).

Il ne faut cependant pas négliger le deuxième aspect de la décision commentée.

La haute juridiction fonde en l’occurrence la cassation sur l’absence de vérification opérée par le juge
d’appel sur les éléments de preuve qui pouvaient corroborer le contenu du rapport d’expertise.

Elle suggère ainsi qu’il ne suffit pas que le rapport ait été soumis à la discussion contradictoire de
parties intervenantes qui n’ont pas été présentes à l’instance au cours de laquelle il a été produit.

Encore faut-il que ce rapport ne soit pas le seul élément de preuve sur lequel se fonde le juge saisi.

La solution est assez classique en ce qui concerne le rapport amiable (Cass., ch. mixte, 28 sept.
2012, n° 11-18.710, Bull. ch. mixte n° 2 ; Dalloz actualité, 10 oct. 2012, obs. C. Tahri ; D. 2012.
2317, et les obs. ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner
et I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2012. 769, obs. R. Perrot ; Civ. 2e, 7 nov. 2013, n° 12-25.334,
Bull. civ. II, n° 212) mais elle a aussi été appliquée au rapport d’expertise judiciaire.

En particulier, la Cour de cassation a déjà jugé qu’aucune condamnation ne peut intervenir à l’encontre d’un appelé en garantie sur la base du seul rapport d’expertise produit au cours d’une instance où il
n’était pas partie (v. Civ. 3e, 27 mai 2010, n° 09-12.693, Bull. civ. III, n° 104 ; Dalloz actualité, 8 juin
2010, obs. L. Dargent ; RDI 2010. 495, obs. P. Théry ; RGDA 2010. 740, note J.-P. Karila et L.
Karila ; v. aussi Civ. 2e, 12 déc. 1990, n° 89-18.002: Bull. civ. II, n° 263 ; Civ. 3e, 23 avr. 1992, n°
90-14.071, Bull. civ. III, n° 140).

En imposant cette double vérification aux juges du fond, la Cour de cassation leur fournit une grille de lecture très simple pour statuer sur l’opposabilité du rapport.

Ceux-ci doivent se poser deux questions successives : le rapport a-t-il pu être discuté ? le cas
échéant, est-il corroboré par d’autres éléments de preuve ?

Ce n’est qu’en répondant positivement à ces deux questions que le juge pourra déclarer le rapport opposable à l’appelé en garantie qui n’était pas partie à l’instance au cours de laquelle ce rapport a été produit.

Par cette cassation très pédagogique, la Cour de cassation démontre la prudence avec laquelle elle
envisage l’opposabilité du rapport à l’appelé en garantie qui n’était pas partie au cours de
l’instance au cours de laquelle les opérations d’expertise ont été menées.

Le rapport demeure exploitable mais il est frappé d’une infirmité originelle tenant à la méconnaissance du droit à la contradiction de la partie ultérieurement mise en cause.

Du point de vue pratique, cela suggère aussi qu’il serait sans doute plus simple – et plus favorable – pour la partie qui souhaite se prévaloir du rapport d’expertise d’attraire le tiers dès l’instance au cours de laquelle celui-ci est produit.

 

Source : Dalloz Actualités, Mehdi Kebir